A la bastoche, j'ai revu par hasard Clode Arto au café de la Fontaine. J'y bois une bière de temps à autre avec Eudeline, qui a déménagé de son troquet de Montmartre pour s'enfiler ici ses expressos-pastis. Un autre jour, un junky salement amoché, la tronche tuméfiée, m'accoste sur le trottoir. Il s'agit de Daniel Darc. On se tombe dans les bras, mais vu son état, je suis persuadé que c'est la dernière fois que je le vois vivant. En octobre, j'effectue un second séjour à Montréal, pour t’ter le terrain autrement que dans l'euphorie estivale. Le second test est positif, et je vais à cette occasion faire les contacts qui me permettront de créer le tissu social de ma future installation.

Retour sur le plateau Mont-Royal à l'été 95, en compagnie d'Arto. C'est la teuf, le party, la surboum, pour ce qui restera comme la seconde adolescence de ma vie. Un loft de 150 m2 en centre ville se loue une misère, l'ecstasy est de bonne qualité. Au bout de deux mois de saoûlerie intense, on se retrouve en pleine cambrousse, dans les cantons de l'Est très exactement, en compagnie d'une bande de freaks pour recharger nos batteries. Des nymphettes à peine pubères font du cheval à cru, sous le regard concupiscent de
poètes qui se baignent à poil dans le lac. Non loin de là, un ancien des Bérurier Noirs,
Michboul vient de planter la tente de son thé’tre ambulant.
Plus incroyable encore, nous revoyons Gregor Davidow, qui habite le Canada depuis une quinzaine d'années. C'est devenu une caricature de l'aristocrate facho, sorte de von Stroheim monoclé sorti d'un film sur l'empire austro-hongrois. Content de nous revoir, il nous présente la designeuse de fringues lesbienne dont il conçoit le défilé de mode, pour une collaboration éventuelle. Mais les choses deviennent très vite incontrôlables, et tout capote dans un chaos schizo-sexuel dont la promiscuité montréalaise a le secret.
De retour en France, je décide d'émigrer. Pour aider, je tente un tour de passe-passe. En effet, Gallimard est intéressé par l'adaptation en jeu vidéo d'une nouvelle de Mo. M'étant renseigné par les possibilités de développement au Canada, il apparait que le gouvernement facilite les projets tournant autour du multimédia ou d'internet. Les coûts de main d'oeuvre sont plus bas qu'en France, et le savoir-faire en 3D est remarquable. On peut donc réaliser notre jeu là bas. Pendant deux mois, on se met au boulot Clode et moi pour réaliser une maquette. Marc Caro est contacté pour réaliser la direction artistique. Mais je n'ai pas l'intention d'attendre la réponse de l'éditeur, puisque de toute façon ma décision est prise, et je m'installe en éclaireur au mois de février 97. Quelques mois plus tard, Gallimard nous jette la maquette à travers la figure. Au début, je trouve ça bizarre. Puis ça me prend un certain temps pour comprendre qu'ils sont tellements ignorants des réalités industrielles qu'ils pensaient que j'allais leur donner un jeu tout fait ! «a faisait pourtant déjà un bon dix ans que l'ère du petit-génie-qui-concocte-un-hit-dans-sa-cave était terminée, et que la moindre maquette coûtait déjà 100.000 boules (et un jeu plusieurs millions) ! Mais qu'est-ce que dix ans pour une élite qui vit au dix-neuvième siècle ?
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Dantec dans une teuf à Montréal

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Jaquette de la maquette du jeu